MARIE-SOPHIE LACARRAU : "'LE 13 HEURES' DE TF1 N'EST PAS UN JOURNAL D'OPINION, MON AVIS IMPORTE PEU"

Contrairement à Jean-Pierre Pernaut qui l'a intronisée en 2021, Marie-Sophie Lacarrau ne laisse rien transparaître de ses opinions à l'antenne. Entretien avec la présentatrice du "13 Heures" de TF1.

Mercredi 10 avril 2024, 14h10. Moins d'une demi-heure après avoir rendu l'antenne, Marie-Sophie Lacarrau décompresse dans son bureau. "C'est l'instant où tout se calme. Je parle moins, je m'isole", confie-t-elle avant de se projeter sur l'édition du lendemain. Un rythme plus propice à la réflexion qui tranche avec le tunnel matinal. "Dès 7h30, je retrouve mon équipe. Il faut aller vite pour lancer rapidement les équipes sur le terrain et que les sujets commandés soient prêts à 13 heures". Entre ses deux journées, Marie-Sophie Lacarrau a accordé à puremedias.com un entretien d'une heure pour évoquer le "13 Heures" de TF1, rien que le "13 Heures" de TF1. Nos questions sur la concurrence – la convergence entre les lignes éditoriales des 13 Heures" de TF1 et France 2 ou la montée en puissance de l'opinion avec l'essor de CNews – sont restées sans réponse.

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Propos recueillis par Ludovic Galtier Lloret

puremedias.com : Avant d'entrer dans le vif du sujet, comment va votre oeil ?

Marie-Sophie Lacarrau :

Ça va très bien ! J'ai dû effectivement passer des examens de contrôle. C'est la raison pour laquelle j'ai été absente une semaine. Mais tout va bien !

Pouvez-vous nous rappeler ce qui a changé dans votre façon de présenter le JT depuis votre gros problème à l'oeil ?

J'ai toujours un éclairage réduit sur le plateau. Et je n'utilise plus le prompteur parce qu'effectivement, je ne peux plus le lire. Mais en somme, ce sont des aménagements très minimes.

Le prompteur était un appui dont vous avez réussi facilement à vous passer ?

C'était une habitude, j'avais appris ce métier en me servant d'un prompteur. La force des choses a fait que j'ai dû m'en passer. Au final, c'est plutôt agréable, j'ai gagné en spontanéité, j'ai peut-être aussi un peu moins le regard figé. Forcément, il y a des hésitations mais elles font partie de la vraie vie.

En janvier 2021, vous êtes intronisée par Jean-Pierre Pernaut à la tête du "13 Heures", rendez-vous qu'il a créé de A à Z. Êtes-vous fière d'une trouvaille que vous avez pu imposer depuis votre arrivée ?

Je suis très tournée vers le journalisme de solutions. Quand on évoque un sujet, je n'ai pas envie de l'aborder par l'angle du problème mais plutôt par le biais de la solution que certains ont déjà trouvée. Autant la partager pour qu'elle profite au plus grand nombre. Par exemple, quand une info tombe sur l'augmentation des frais de réparation chez le garagiste, plutôt que de faire un sujet sur ce que les téléspectateurs constatent dans leur quotidien, allons tout de suite vers la solution et allons trouver le garage qui pratique des prix moins chers. L'idée, c'est de leur livrer le conseil qu'ils ne connaissent pas, leur apporter des clefs. C'est un fil que l'on tire de plus en plus dans "Le 13 heures".

Notamment avec "Le 13 Heures à vos côtés"...

Exactement ! Quand on a lancé ce rendez-vous avec Thierry Coiffier (journaliste en charge de cette rubrique de trois minutes, ndlr), tout le monde nous a dit que l'on n'y arriverait jamais. Une question incarnée en vidéo par un téléspectateur chaque jour ? Ça ne tiendra pas, nous disait-on. Résultat, on va boucler la deuxième saison et Thierry reçoit une soixantaine de questions chaque jour. C'est un énorme boulot. On ne sait jamais trop d'où nous vient la question donc il faut la vérifier et aller chercher les réponses. En un an, ce rendez-vous est déjà autant identifié que "Votre plus beau marché" et "SOS villages". C'est une vraie victoire !

Ce que l'on note aussi dans "Le 13 Heures", c'est l'importance du micro-trottoir avec le risque que l'opinion prenne le dessus sur le journalisme, non?

Je n'ai pas l'impression de lancer des micros-trottoirs. Dans notre manière d'aborder les sujets, nous nous tournons toujours vers les personnes qui sont en train de vivre une actualité. Et qui sont donc légitimes pour en parler. Quand on va tendre le micro à quelqu'un, ce n'est pas pour qu'il donne un avis comme ça à la volée. Je n'ai donc pas l'impression de céder à la facilité mais plutôt de bâtir des reportages incarnés. Plutôt que d'aller voir les décideurs, les politiques, nous faisons le choix de partir de la base afin que les téléspectateurs se trouvent face à un journal miroir.

Nous avons néanmoins tous en tête cette image de l'automobiliste à qui on pose une question à la volée, pour le coup...

Dans ce genre de question, on est quand même beaucoup plus anglé. Ce n'est pas juste tendre le micro. On vient chercher un avis très précis sur un sujet très précis. Et dans le but de faire avancer le débat.

Je ne suis pas là non plus pour faire un journal d'opinions...

Contrairement à Jean-Pierre Pernaut, qui avait pour habitude de donner la sienne après la diffusion des sujets...

J'estime que "Le 13 Heures" n'est pas un journal d'opinion mais un journal d'information. Mon avis importe peu. Mon avis, je le mets dans les sujets que je choisis de mettre à l'antenne. Voilà. Je préfère que ce soient les personnes que l'on ne voit nulle pas ailleurs à la télévision qui donnent le leur.

Quel rôle jouez-vous justement dans le choix des angles et des sujets qui intègrent le conducteur ?

L'heure des choix avec les trois autres rédacteurs en chef du "13 Heures" est, pour moi, le meilleur moment ! Pourquoi va-t-on traiter cette actualité et pas une autre ? Nous gardons à l'esprit que nos téléspectateurs ne souhaitent pas que nous leur parlions forcément de l'actualité qu'ils entendent en boucle ailleurs. "Le 13 Heures" les accompagne dans leur quotidien mais doit aussi ouvrir un peu la fenêtre, permettre de respirer, sourire un peu quand c'est possible et donc ne pas être trop anxiogène. C'est l'objet des dix minutes qui suivent la rubrique de Thierry Coiffier. Mon rôle là-dedans est d'y mettre de la sympathie, de l'empathie, de la bonhomie.

Voilà dix-huit ans que vous présentez des JT – dont huit ans au niveau national – prenez-vous toujours autant de plaisir dans cet exercice ?

Je ne vois pas du tout cet exercice comme routinier. Depuis 13h41 (une demi-heure avant notre rencontre, ndlr), je sais déjà qu'il y a 43 minutes à sortir pour demain. J'adore écrire ce journal ! J'imagine les téléspectateurs chez eux, peut-être dans leur cuisine en train de préparer le repas. Pour trouver les mots qui vont leur donner envie de regarder le reportage qui suit, je pense à ma grand-mère, cherche à intéresser mes tantes. C'est la raison pour laquelle je privilégie le langage parlé. J'aime beaucoup interpeller le téléspectateur, m'installer dans une conversation avec lui. C'est une écriture unique.

Les téléspectateurs vous suivent. Entre le 21 août 2023 et le 22 avril 2024, "Le 13 Heures" a convaincu 4,46 millions de téléspectateurs en moyenne, soit 40,4% du public. Vous réalisez la plus importe part d'audience de la grille de TF1... Cela vous inspire-t-il un commentaire ?

C'est exceptionnel ! Ce journal de "13 Heures" est un ovni. Il réalise des scores inégalés à l'échelle européenne à la mi-journée. C'est merveilleux !

Jean-Pierre Pernaut, Jacques Legros et vous, Marie-Sophie Lacarrau... Le succès de cette édition ne se dément pas quel que soit le journaliste aux manettes. Êtes-vous convaincue vous aussi de la nécessité de démythifier le présentateur star du JT ?Ah mais tellement ! Je suis mille fois d'accord ! Si j'étais toute seule à l'antenne, il n'y aurait pas de journal. Selon moi, un journal, c'est avant tout de l'image et du reportage. Le présentateur accompagne mais je me placerai toujours derrière les reporters. Quand je pars en plateau, la fierté et la responsabilité que je ressens, c'est de porter tout le travail d'une rédaction et d'un réseau de correspondants qui ont couru toute la matinée, ont travaillé dans la neige, sous la pluie ou sous la canicule. Ils ont un mérite incroyable, ils se sont arrachés pour que les reportages soient prêts. À moi de mettre leur travail en valeur. Nos correspondants sont très précieux, ils signent 70% à 80% des reportages du "13 Heures".

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En dépit de cela, présenter le "13 Heures" de TF1 à la place de celui de France 2 a-t-il changé votre rapport aux téléspectateurs ?

Je suis davantage reconnue, c'est vrai. Je reçois beaucoup de courriers de jeunes femmes qui me disent 'vous nous montrez qu'il est possible qu'une journaliste des régions (Marie-Sophie Lacarrau a débuté à France 3 Midi-Pyrénées, ndlr) atteigne le '13 Heures' de TF1'. Jamais, je n'aurais imaginé incarner cela. Ce sont des témoignages que je ne recevais pas quand j'étais sur France 2.

Paradoxalement, le fait d'être exposée ne vous empêche pas de revendiquer une forme de discrétion médiatique...

J'aime beaucoup votre terme. Je tiens effectivement à une discrétion médiatique. Je suis une provinciale, je ne cherche pas à gommer mon accent, je ne cherche pas à gommer mes origines à la campagne. Il y a encore huit ans, je vivais dans un village de 1.000 habitants. Je suis née dans l'Aveyron, j'ai grandi à Perpignan, je me sens profondément provinciale. Même si, professionnellement, je ne pourrais pas davantage être épanouie qu'à Paris, je suis la plus heureuse quand je suis dans ma campagne avec mes Pyrénées en face et les champs autour de moi. J'aime profondément cette vie-là que je décris tous les jours dans mon journal.

Retourner sur le terrain, cela vous manque-t-il ?

Oui, vous avez tout à fait raison. J'ai commencé par du reportage en régions sur les routes de Midi-Pyrénées pour France 3, j'ai fait des stages à "Midi Libre", M6 et LCI. Il arrive qu'au fond de moi, quand on lance un sujet, je me dise que j'aimerais bien le faire celui-là. À l'inverse, quand c'est un sujet difficile, un fait divers dramatique, je me dis que je ne voudrais pas y aller. Je réagis encore en tant que reporter sur pas mal de sujets. Ce sont surtout les rencontres qui me manquent.

Concilier la présentation et le reportage est-il envisageable à TF1 ?

Présenter un journal ne le permet pas. Mais dans les nouveautés que j'ai apportées, il y a ce concours des recettes de Noël à l'issue duquel j'ai vraiment tenu à ce que je cuisine la recette lauréate chez le gagnant. C'est mon petit bonbon de fin d'année.

Vous vous êtes essayée au divertissement en prime time sur France 2. Souhaiteriez-vous explorer ce genre sur TF1 ?

J'ai beaucoup aimé animer "Prodiges" mais aujourd'hui, la question de présenter un divertissement ne se pose pas à TF1 puisque je ne vois pas quel est le programme qui serait compatible avec le "13 Heures". Dans ma carrière, je n'ai jamais couru après quelque chose, il y a des opportunités qui se sont présentées, je les ai saisies. Mais je ne cours après rien. Aujourd'hui, je n'ai aucune frustration, aucune attente particulière, je suis comblée.

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